Règlement sur le travail forcé – Interview de Nicolas Chandellier

Règlement sur le travail forcé – Interview de Nicolas Chandellier

L’ESMC a publié début janvier 2024 une lettre ouverte en faveur d’une régulation européenne stricte contre le travail forcé. CARBON compte parmi les 39 industriels européens du secteur photovoltaïque qui ont co-signé cette lettre. Interview de Nicolas Chandellier, Directeur général de CARBON.

Pourquoi est-il urgent de mettre en œuvre une réglementation stricte concernant le travail forcé en Europe ?

À ce jour, environ 28 millions de personnes dans le monde sont soumises au travail forcé et l’on estime que l’industrie PV est la 4ème étant la plus exposée au travail forcé, après l’électronique, le textile et l’huile de palme.

Depuis 2017 au moins, la communauté internationale a connaissance de l’existence du recours au travail forcé des Ouïghours, dans la région autonome du Xinjiang, en Chine. Plusieurs rapports institutionnels et des études universitaires de haut-niveau vont également en ce sens.

Face à cela, l’urgence est de garantir le contrôle des importations de biens en Europe, afin d’interdire d’entrée tout produit avec du contenu reposant sur du travail forcé, à toutes les étapes de la chaîne de valeur.

À ce titre, le règlement de l’Union européenne relatif au travail forcé, qui a fait l’objet d’une belle mobilisation transpartisane au Parlement européen, doit permettre à l’Europe de s’affirmer comme une puissance économique et commerciale pleinement respectueuse des droits humains et sociaux.

Vous êtes 39 fabricants européens de produits photovoltaïques à avoir signé la tribune de l’European Solar Manufacturing Council (ESMC). Ce plaidoyer est-il plus largement partagé dans l’ensemble de la filière ?

Comme cela est détaillé dans la tribune de l’ESMC, que nous avons co-signée, la version du règlement issue du Parlement européen va dans le bon sens. Nous soutenons, par exemple, l’inversion de la charge de la preuve obligeant les entreprises soupçonnées de prouver qu’elles n’ont pas eu recours au travail forcé, notamment pour les produits provenant de zones géographiques à haut risque.

La Commission européenne devrait également avoir mandat pour ouvrir des enquêtes et en faire l’instruction après un dépôt de plainte. Elle pourrait s’appuyer sur les informations fournies par les ONG, les associations, les institutions, les élus ou les lanceurs d’alerte.

Enfin, nous appelons à une mise en œuvre accélérée du règlement. Nous devons, sans délai, casser ce modèle qui fait souffrir depuis trop longtemps des travailleurs du monde entier et constitue, de plus, une menace pour les entreprises européennes.

Un règlement aussi ambitieux que celui-ci va nécessairement provoquer de réels changements au sein de la filière. Je ne doute pas un seul instant que le secteur dans son ensemble (producteurs de matières premières, fabricants, développeurs, exploitants, …) saura s’adapter pour faire renaître, en Europe, une industrie solaire responsable et durable qui garantisse le respect des meilleures normes sociales et environnementales et la traçabilité sur la totalité de la chaîne de valeur. Chez CARBON, c’est en tout cas notre engagement de chaque instant.

Cette réglementation pourrait-elle être un premier pas visant à mettre fin à une distorsion de concurrence aux dépens des entreprises européennes ?

La priorité, c’est de stopper le recours au travail forcé dans le monde. L’ONU s’est fixée pour but d’éradiquer ce fléau d’ici à 2030 mais, dans le même temps, l’Organisation internationale du travail (OIT) apporte des éléments qui semblent repousser cet objectif et témoignent d’une augmentation de l’esclavage moderne ces dernières années. Il y a urgence à agir vite. L’Union européenne doit s’en donner les moyens. À nous, collectivement, d’être à la hauteur de l’enjeu.

Bien que l’industrie solaire soit à l’avant-garde de la lutte contre le dérèglement climatique et de la transition énergétique, cela ne la dédouane en rien de ses obligations sociales en matière de droits humains. Il est aussi question de protéger les fabricants européens qui se conforment aux normes sociales et environnementales les plus élevées au monde, dans un contexte de concurrence déloyale accentuée par ce travail forcé dans d’autres zones du globe. Il ne doit donc pas y avoir un centimètre de place pour l’import de produits issus du travail forcé au sein de l’Union européenne.